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Les croisières sur le paquebot MERMOZ

De Wikhydro

Sommaire

Interview d'Olivier Prunet : Capitaine au Long Cours

interview de Olivier Prunet : dernier commandant de MERMOZ

WIKHYDRO - MERMOZ et ses croisières par Wikhydro

Laisser-vous conter l'histoire des grandes croisières à bord de MERMOZ

Cette page fait parie d'une ensemble de deux pages dédiées au paquebot MERMOZ et à ses croisières sous le commandement d'Olivier Prunet

Ma navigation sur Mermoz

Officier aux Chargeurs Réunis, j’ai été détaché à la compagnie Paquet en 1980. Après cinq années passées sur Azur, j’ai été affecté sur Mermoz. Mis à part quelques remplacements de commandant sur Ocean Pearl et Ocean Princess, j’aurai donc passé quatorze années sur ce navire.

Mermoz m’aura permis de faire découvrir à des milliers de passagers quelques unes des plus belles régions du monde, de la Méditerranée aux Caraïbes, du Spitzberg à la Patagonie, des Galapagos aux Moluques, du Yang-Tsé à l’Orénoque. Il m’aura permis de naviguer comme jamais je n’aurais oser l’espérer en entrant dans la marine marchande, loin des routes programmées ou recommandées, loin de la routine, dans des régions isolées ou sauvages, au milieu de paysages grandioses ou paradisiaques.
Nous avons bien sûr fait escale dans des centaines de ports et des centaines d’îles .

mermoz a venise

mermoz a anvers
la possession ile de la reunion
alassia turquie
sydney
odessa russie
beyrout
norvege stavenger


On me demande souvent quelles régions, quelles navigations, quelles escales j’ai préféré.
Il y a celles qui m’ont marqué par l’Histoire qui s’y rattache car je suis un passionné d’Histoire maritime. Il y a celles qui m’ont enthousiasmé car j’ai pu y exercer le métier de marin dans toute sa spécificité et toute sa splendeur. Il y a enfin celles qui resteront inoubliables par la beauté absolue des paysages rencontrés.

Quand on arrive dans les îles du Pacifique, comme à Nuku Alofa dans l’île de TongaTabu, l’île des Amis de James Cook, qui n’a guère changé depuis le 18e siècle, on se retrouve plongé dans l’aventure de Jean-François de La Pérouse.

Quand on fait escale à Ternate ou Tidore, dans les Moluques, ces îles des épices, des clous de girofle, qui firent tant rêver les Européens de la Renaissance, on retrouve les fantômes de Francisco Serrao, Fernando de Magellan, Sebastian El Cano.

Et comment ne pas évoquer Sainte Hélène et son petit port de Jamestown. L’arrivée devant l’énorme masse noire de cette grande île avait lieu au lever du soleil, au son des marches militaires de l’Empire diffusées sur les ponts. Le spectacle était grandiose. Après avoir débarqué sur le quai même où Napoléon avait débarqué 180 ans plus tôt, on découvrait un site exceptionnel, avec une vue magnifique sur la rade.
Parmi les navigations remarquables, il faut citer le franchissement des grands canaux  comme Kiel, Suez et surtout Panama.
Le passage des écluses de Gatun, Miraflores et Pedro Miguel, tracté par les mules, était un incroyable spectacle pour les passagers. Le franchissement de la passe de Gamboa et de la tranchée de Culebra permettait de comprendre les difficultés du percement, les milliers de morts qui jalonnèrent ce fantastique chantier au début du XXe siècle.

Franchissement du canal de Panama
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Autre navigation qui m’a laissé un souvenir fort : le passage par les chenaux secondaires de la baie d’Halong, l’une des plus belles baies du monde avec Rio, San Francisco et Sydney.
Moyennant quelques dollars offerts au pilote, on pouvait s’affranchir du règlement qui, normalement, nous obligeait à emprunter le chenal principal. Au milieu des îlots et des monolithes défilaient alors toutes les images de l’ancienne Indochine.

baie d along
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Toutefois, les plus belles navigations, mais aussi les plus stressantes pour un commandant, furent effectuées dans le bassin amazonien, en Patagonie et dans les régions arctiques.

En Amazonie, Mermoz a emprunté à plusieurs reprises le détroit de Breves et les furos qui relient la branche sud et la branche nord de l’embouchure de l’Amazone. En 1990, alors que j’étais second sous les ordres du commandant Mosser, il s’était échoué brièvement dans le rio Macacos, aventure fréquente dans cette rivière encombrée de bancs de sable mouvants qui gênent considérablement les manœuvres. En 1996, étant moi-même commandant, j’ai emprunté un autre passage situé plus à l’ouest et encore plus spectaculaire, le rio Tajupurim. Bien que profonde de 20 m sur toute sa longueur, c’est une rivière très étroite, avec des coudes extrêmement prononcés exigeants des manœuvres particulièrement délicates. Il faut imaginer Mermoz navigant sur la Sèvre nantaise pour se faire une idée du spectacle
Les quelques Indiens vivants au bord de la rivière, à la vue d’un tel navire passant devant leurs huttes, devaient être quelque peu surpris.

amazonie detroit de breves
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Autre région où la navigation fût spectaculaire et difficile : les canaux de Patagonie et de la côte chilienne. Canal de Beagle et canal Cockburn avec leurs étroits fjords de La Romanche, Garibaldi et Agostini, puis le détroit de Magellan et les canaux Sarmiento et Messier avec la célèbre passe des Anglais où les courants de marée atteignent dix nœuds.
La navigation y est superbe lorsqu’il fait beau temps, mais toute cette région est balayée par les tempêtes du Pacifique et quand les grands vents d’ouest atteignent la cordillère des Andes, au sud du cap Froward, ils provoquent les williwaws, ces rafales tourbillonnaires dépassant cent nœuds qui dévalent brutalement des montagnes et des glaciers. Il faut donc faire preuve de la plus extrême prudence lorsque l’on entre dans ces fjords.

patagonie canal de beagle
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Enfin, c’est dans l’arctique, au cours de trente et une croisières vers le Spitzberg, que j’aurai connu mes plus belles heures de navigation. Avec Mermoz, nous avons exploré toute la côte ouest de cet archipel, de la banquise jusqu’à la pointe sud. Cette navigation est pourtant difficile, avec la présence continuelle de brume et de redoutables champs de glace venus soit du Groenland soit, le plus souvent, de la mer de Barentz.
Mais lorsqu’on découvre, émergeant de la brume et battues par les vents, les falaises de l’île de l’Ours avec leurs milliers d’oiseaux marins,

norvege ile de l ours
norvege ile jan mayen

l’île de Jan Mayen et son admirable volcan du Beerenberg, haut de trois mille mètres et dans la brume trois cents jours par an, avec ses glaciers étincelants cascadant vers la mer, ou les montagnes pointues du Spitzberg, c’est une véritable féerie.
Les opérations au Spitzberg étaient toujours complexes. Il fallait installer nous mêmes les pontons de débarquement. On plantait des pieux à terre et on installait des lignes de mouillage pour fixer solidement les pontons.

Opérations au Spitzberg
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Tout l’équipage était mobilisé et j’avais beaucoup d’admiration pour nos Indonésiens, plus habitués aux chaleurs de Java ou de Sumatra qu’aux rigueurs de l’arctique, qui restaient pendant des heures dans le froid, l’eau glacée ou les tempêtes de neige pour aider au débarquement des passagers.
Ces mouillages dans Magdalenafjord, ou dans la baie de la Recherche, que nous avions découverte en 1990 avec le commandant Mosser, nous ont laissé des souvenirs inoubliables.

recherche fjord
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Mais de mes 36 années passées à la mer, émerge le souvenir d’une seule nuit, cette nuit de Juillet 1999 où, pour la première fois, j’ai pu entrer dans la baie du Hornsund, au sud du Spitzberg, exceptionnellement dégagée des glaces. Nous avons exploré les fjords de Samarinvägen et Vestre Burgerbukta, branches nord et sud de la baie.
Encaissés, étroits, bordés de glaciers vertigineux, surmontés de montagnes pointues, dans un isolement sauvage, balayés par des vents tourbillonnaires, encombrés de glaces flottantes, éclairés par le soleil rasant des mois sans nuit de l’arctique et traversés de brumes fantomatiques, roses et violacées, qui dévalaient des montagnes, ces fjords nous ont offert un spectacle d’une beauté sans égale. Ils donnaient l’impression d’être sur une autre planète.

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Les passagers

En quatorze ans, j’aurai transporté environ deux cent mille passagers.
Je garde donc le souvenir de rencontres marquantes avec des gens, célèbres ou inconnus, passionnants dans leur domaine.
Mermoz a bien sûr vu passer à son bord de hautes personnalités. Avant que je n’y pose mon sac, le Prince Rainier de Monaco, la princesse Grace et leurs enfants avaient effectué une croisière au Spitzberg. Le roi du Maroc l’avait emprunté quand il faisait encore la ligne de côte d’Afrique. C’est à bord que Marguerite Yourcenar avait appris son élection à l’Académie Française

Pendant les cinq années où j’ai été commandant en titre, j’ai tenu un livre d’or qui a recueilli nombre de signatures prestigieuses :

  • le Premier Ministre Pierre Messmer
  • le Président Jeliou Jelev, premier président de la République de Bulgarie après la chute du communisme : professeur d’université de haute culture, parlant un français impeccable, c’était aussi un humaniste d’une grande simplicité
  • l’ancien chef d’état major de l’armée française pendant la guerre du Golfe, le général Maurice Schmidt, lui aussi ancien passager du Jean Mermoz. Il avait surtout noté la bonne ambiance qui régnait au sein de l’équipage du navire.
  • le chanteur Georges Moustaki (reproduction ci-dessous)
  • l’écrivain Françoise Chandernagor qui a bien su décrire ce qui faisait le succès de Mermoz.

Car ce qui faisait en effet le succès de Mermoz c’était, comme le disait beaucoup de passagers, d’avoir une âme, d’être un bateau à taille humaine, avec ses coursives extérieures où l’on était vraiment au contact de la mer, ses ponts en teck sur lesquels on aimait flâner au coucher du soleil. C’était encore la vieille marine avec ses fûts de compas en cuivre, ses transmetteurs d’ordres mécaniques, sa vieille barre à roue qui ornait l’entrée du grand salon, ici peinte par un passager.

dedicace krzysztof penderecki
dedicace moustaki
barre du mermoz

La restauration

C’était aussi une table renommée, avec une brigade de cuisine exceptionnelle sous la direction d’un grand chef, Jean Abauzit, maître cuisinier de France, qui officia pendant vingt huit années sur le navire.

J’ai pu retrouver un très ancien menu du Jean Mermoz, datant de 1962. La restauration était alors celle des navires de ligne, et ne semble pas extraordinaire.
Mais dès le début des croisières, la qualité de la table fût l’un des grands atouts du navire.

menu a bord de mermoz
chefs de mermoz
menu a bord de mermoz multi723


Chaque année se déroulaient aussi la croisière gastronomique. Voici, par exemple, les noms des chefs venus pour celle de 1996.
Et le menu concocté par Joël Robuchon.

Les croisières à thèmes

Ces croisières ont largement contribué à la renommée de Mermoz. Le première d’entre elle était incontestablement le prestigieux Festival de Musique en mer. C’était l’une des rares croisières attirant des passagers du monde entier, la plupart mélomanes avertis. Le restant de l’année, le navire était essentiellement réservé aux francophones.
Les musicales étaient organisées par André Borocz, aussi organisateur du festival de Menton. Fut invité également le violoncelliste Salvatore Accardo, du jeune pianiste prodige russe Evgueni Kissin et du chef d’orchestre James Dudd, de l’English Chamber Orchestra.
Tous les grands solistes, interprètes, chefs d’orchestre, de Mistlas Rostropovitch à Yehudi Menuhin, Vladimir Ashkenazy, Maria Joao Pires, Maurice André, Bernard Soustrot, Barbara Hendriks, Youri Bashmet et bien d’autres sont venus sur Mermoz.
J’ai de nombreuses dédicaces de ces grands artistes : la plus originale est sans conteste celle du compositeur Krzysztof Penderecki (voir ci-dessus).

Précédent toujours la musicale, se déroulait le Festival du théâtre en mer. Pendant longtemps il fût organisé par Robert Manuel et Claudine Koster. Après le décès de Robert Manuel, c’est Jean-Claude Brialy qui organisa cette croisière. Là encore, d’innombrables grands artistes ont participé à ce festival, l’un des sommets de la vie culturelle françaises.

affiche theatre en mer
festival en mer
sur les traces de jean mermoz


Les croisières de l’Histoire, ont aussi attiré des conférenciers remarquables et il est impossible de les citer tous :

  • l’astronaute Jean-Loup Chrétien et l’explorateur polaire Paul-Emile Victor ; au cours de la même croisière étaient aussi nos hôtes l’alpiniste Roger Frison-Roche
  • l’historien et ministre de la francophonie Alain Decaux avec l’anthropologue Carmen Bernand,
  • les journalistes Bertrand Poirot-Delpech, critique littéraire du Monde et Patrick Poivre d’Arvor, de TF1,
  • le regretté Georges de Caunes, qui fût un de nos plus fidèle conférencier,
  • l’écrivain Jean d’Ormesson

et quelques dédicaces à propos de Mermoz, laissées par ces conférenciers :

  • l’amiral François Bellec, conservateur du musée de la Marine de Paris et peintre officiel de la Marine
  • l’astrophysicien Hubert Reeves

Signalons enfin un thème qui connut un grand succès : Napoléon.
Les croisières Napoléon nous ont conduits à plusieurs reprises à Sainte Hélène, lors des traversées de l’Atlantique sud, mais aussi dans beaucoup de ports méditerranéens.
Voici la dédicace de la princesse Napoléon, descendante de Jérôme, roi de Westphalie, plus jeune frère de l’empereur ; elle est aujourd’hui chef de la maison Bonaparte.
Autre dédicace, celle du seul véritable descendant, vivant aujourd’hui, de l’empereur des Français, Alexandre Walewski. Il est l’arrière petit fils, à la 5e génération, de Napoléon et Marie Walewska, son épouse polonaise. Il écrit d’ailleurs :
«Nous sommes ici grâce à l’empereur Napoléon 1er et à notre délicieuse aïeule, Marie Walewska »

Les défauts de Mermoz

Jusqu’à maintenant, vous avez vu des commentaires dithyrambiques sur Mermoz. Mais il ne faut pas se voiler la face : il est arrivé que des passagers soient mécontents de leur croisière.

Ainsi, je me souviens d’une fiche d’appréciation dans laquelle le passager, au lieu de cocher les diverses cases, avait seulement collé, avec un morceau de scotch, un cafard sans doute trouvé sur le navire et avait simplement écrit :
« Seul celui-là a fait une bonne croisière ».

Autre anecdote : en 1988, un accident s’était produit sur rade de St Barthélémy, dans les Antilles françaises. L’une de nos chaloupes, suite à la rupture du câble d’inversion de marche avait violemment heurté un voilier à quai à Gustavia. Sous le choc, un passager du voilier était tombé à la mer et était resté coincé entre le voilier et le quai. Gravement blessé, il avait dû être évacué sur l’hôpital de St Martin.
Quelques années plus tard, alors commandant du navire, je vis au cours d’un cocktail un passager s’avancer vers moi :
-«  Je déteste le Mermoz » me dit-il. «  Je hais ce navire, je ne peux pas le voir en peinture… » Et il ajouta : -« Vous souvenez-vous de Gustavia ? »
C’était le blessé du voilier. Bien sûr, je me souvenais de l’histoire et je compatis ; je lui demandai toutefois pourquoi il ravivait ce mauvais souvenir en venant à bord.
-« Vous n’allez pas me croire », me répondit-il.  « -J’ai participé à un concours et j’ai gagné le premier prix ! Quand j’ai su que ce premier prix était une croisière sur Mermoz, j’ai vraiment hésité à venir. »
Nous fîmes notre possible pour lui rendre la croisière agréable.
Souvent, surtout à la fin de sa carrière, les causes du mécontentement tenaient à l’âge du navire. Construit dans les années cinquante pour la ligne de côte d’Afrique, Mermoz était devenu obsolète pour des croisières haut de gamme à l’aube du XXIe siècle

Conclusion

A l’aube du XXIe siècle, Mermoz, ce navire à l’atmosphère chaleureuse, aux itinéraires somptueux, aux navigations insolites, aux croisières prestigieuses, devint un rêve du passé.
Tout comme l’aviateur glorieux dont il avait si longtemps porté le nom, ce navire mythique allait désormais entrer dans la légende.

Article rédigée par Olivier Prunet : capitaine au long cours


Le créateur de cet article est Jean-Michel Tanguy
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